Paris – Musée Cernuschi
Au XVIIIe siècle, les peintures conventionnelles des écoles Kanô au service de la classe des militaires et Tosa travaillant pour la Cour de Kyôto ne pouvaient sortir de l’académisme auquel le pouvoir les contraignait
Le nouvel essor artistique revint à des artistes indépendants travaillant pour des mécènes, bourgeois enrichis de la capitale et supérieurs des grands temples bouddhiques

Maruyama Ôkyo (1733-1795) Paon et pivoines
Kakemono, encre, couleurs et lavis d’or sur soie – 135 x 70 cm – 1768
Le paon considéré comme une figure de la prospérité et vivant dans le Paradis bouddhique est associé aux pivoines épanouies symbole de richesse et d’élégance
Maruyama Ôkyo (1733 – 1795) devint le fondateur d’une école de peinture au style naturaliste, s’inspirant des œuvres artistiques européennes introduites subrepticement dans un pays qui ne s’ouvrait que peu, à cette époque, aux influences extérieures
Ses observations d’après nature, ses motifs d’oiseaux pris sur le vif, l’impression de volume et d’ombrage obtenue par des gradations de couleurs renouvellent de façon originale les thèmes empruntés à la peinture chinoise de fleurs et d’oiseaux
L’aspect didactique et réaliste de ses œuvres, l’emploi de la perspective linéaire et surtout ses recherches sur le rendu atmosphérique à l’instar de l’art pictural occidental, démarche innovante en cette fin de siècle, annoncèrent les mutations de la peinture japonaise après l’ouverture définitive du pays

Maruyama Ôkyo – Détail
Les couleurs délicates des pivoines contrastent heureusement avec les plumes sombres et les rochers massifs traités à la chinoise
L’influence du réalisme dans la peinture de Maruyama Ôkyo s’exerça sur Nagasawa Rosetsu (1754 – 1799) un disciple issu de la classe des samurai mais dont le caractère fantasque se retrouve bien dans ses œuvres !

Nagasawa Rosetsu (1754 – 1799) Perroquet rouge et 33 autres oiseaux
Kakemono, encre et couleurs sur soie – 145 x 55 cm
Le style original de Nagasawa se retrouve dans ses compositions audacieuses aux traits incisifs, s’éloignant des combinaisons chinoises en vigueur par un foisonnement de motifs, chacun représenté de façon naturaliste
Nagasawa Rosetsu prit une grande liberté avec le thème classique chinois des « Trois amis de l’hiver (pin, bambou et prunus) et cent oiseaux » en substituant un rosier sauvage au prunus et en associant un étonnant perroquet rouge au-dessus d’une assemblée d’oiseaux exotiques, volatiles venus du Sud de l’Asie et collectionnés en ce temps par la noblesse aisée

Nagasawa Rosetsu – Détail des oiseaux
Vu en plan rapproché, chaque espèce d’oiseaux est bien caractérisée
D’autres écoles d’artistes adoptèrent le style naturaliste de Maruyama Ôkyo pour représenter les mœurs animales de façon descriptive, suivant des esquisses prises sur le vif en pleine nature
Mori Sosen (1747 – 1821) développa un goût prononcé pour les peintures de singes et de daims, les attitudes et les expressions des animaux décrits avec un certain humour témoignent de l’acuité de ses études d’après nature
Employant la technique picturale de Mokkotsuga « la peinture sans os » peinture sans contours, il arriva à rendre le pelage des singes de façon légère mais tout à fait réaliste
L’école Kishi fondée par le peintre Ganku (1749 ou 56 – 1838) traduisit avec éclectisme et vigueur les thèmes picturaux empruntés à la Chine associés au style naturaliste hérité de Maruyama Ôkyo

Ganku (1749 ou 56 – 1838) Aigle perché devant une cascade – Détail
Kakemono, encre et couleurs sur papier – 140 x 77 cm – 1837-38
Ganku, célèbre pour ses peintures de tigres (thème emprunté à l’art chinois car l’animal était inconnu au Japon) développe des compositions amples où la tension dramatique est tangible comme cette puissante figure d’un aigle aux aguets dont l’œil acéré traque un minuscule et fragile petit oiseau apeuré en bas de la scène

Ganku – Détail
En bas de la chute d’eau, le combat inégal entre le redoutable aigle et sa fragile proie
L’école de peinture fondé par Ganku se perpétua avec ses fils dont l’un, Gantai (1782- 1865) réalisa des compositions élégantes à la parfaite unité, œuvres commandées par de puissants Daimyô afin d’en orner leurs châteaux

Gantai (1782- 1865) Cacatoès sur une branche d’érable en automne
Kakemono, encres et couleurs sur soie – 104,5 x 37,7 cm
La blancheur des plumes est accentuée avec un ajout de Gofun, une poudre de coquillage broyé mélangé à de la colle animale
Cette peinture élégante et raffinée d’un bel oiseau joue sur le contraste délicat entre la blancheur rosée presque transparente des plumes de l’oiseau rendues avec précision et le splendide rouge nuancé des feuillas d’érable en automne

Gantai – Détail du feuillage d’automne peint selon la technique Tarashikomi, couleurs légères superposées pour obtenir des teintes nuancées
Un autre courant dans la peinture de l’époque Edo sera l’objet du prochain article
Magnifique ! Quelle finesse…
J’étais sûre Catherine, que cet art si méconnu en Occident vous enchanterait !