Maison de la Culture du Japon - I - La couleur
Cette exposition, consacrée à deux artistes japonaises expertes dans l'art du tissage en soies teintes avec des colorants végétaux, était absolument fascinante

L'affiche de l'exposition sacrifie aux couleurs de l'indigo !
Shimura Fukumi, détentrice d'un "Bien culturel immatériel important" fut nommée Ningen Kokuhô (Trésor national vivant) en 1990 pour sa parfaite maitrise du Tsumugi ori, tissage de kimono Tsumugi
Elle a consacré toute sa vie, maintenant accompagnée dans son travail par sa fille Yôko, à parfaire l'art du tissage manuel, le haussant à une perfection digne des meilleurs artisans-artistes du Japon
Dans les années d'après guerre, la jeune Fukumi, poussée par le désir irrépressible de se consacrer au tissage abandonna mari et enfants pour se retirer dans un petit atelier près de Kyôto afin d'explorer toutes les possibilités de cette technique et créer depuis plus de 50 ans des kimonos devenus des œuvres d'art à part entière

Shimura Fukumi dans les années 1950 au moment où elle se consacre exclusivement au tissage en apprentissage aux côtés de sa mère, elle-même tisserande dans l'esprit du mouvement Mingei
Les soies utilisées par les deux tisserandes sont en majorité des schappes, ces fils de soie provenant de cocons percés ou tachés qui donnent une fibre plus grossière que le fil habituel de soie grège
Les kimonos Tsumugi sont des pongé de soie; tissés avec ces fils irréguliers, leur aspect mat s'apparente davantage au coton qu'aux textiles soyeux
A l'époque Edo, cette apparence permettait à la classe des négociants et des artisans enrichis de se vêtir quand même de soie, détournant ainsi les lois somptuaires du gouvernement shogunal qui réservait le port de vêtements luxueux aux seules classes dirigeantes du pays

Tsumugi ito - Fils de soie provenant de cocons abimés ou tachés
En haut : Mawata - Fil cardé et peigné utilisé comme fil de trame principalement
Au milieu : Tama ito ou Fushi ito, fil irrégulier utilisé comme fil de chaine ou de trame
En bas : Suzushi , fil de soie brut issu directement du cocon, avant le décreusage
La Nature, sous l'égide de laquelle Shimura Fukumi a placé toute sa vie d'artiste, l'a amenée à explorer les diverse possibilités qu'offrent les plantes pour la teinture, perpétuant ainsi une tradition esthétique de la couleur propre au Japon
"Autrefois, je pensais que 10 ans consacrés aux couleurs était nécessaire, maintenant, je sais qu'il faut une vie" dit Shimura Fukumi

Navettes qui devront passer 40 000 fois des fils de trame en gardant un rythme soutenu pour obtenir une longueur de 13 mètres 20 d'étoffe nécessaire à la confection d'un kimono
Shimura Fukumi n'a de cesse d'enseigner à ses élèves qu'il est impossible d'extraire des plantes et des fleurs même les plus colorées des teinture équivalentes à ce que l’œil perçoit
Une grande expérience est nécessaire afin d'obtenir d'une nature pourtant généreuse, des colorants issus de divers végétaux, qui resteront de toute façon toujours aléatoires
Selon la saison, l'heure du jour et même l'état d'esprit de la cueilleuse, le fait que les colorants extraits des plantes récoltées soient toujours différents, l'amène à considérer avec philosophie le mystère de la vie en perpétuel changement ...mais la place de l'homme qui n'a de cesse d'asservir la nature, l'accable de tristesse
De nombreuses plantes tinctoriales sont utilisées dans l'atelier de Mme Shimura, l'exposition en déclinait quelques exemples...pour le plaisir des yeux !
Shimura Fukumi a une préférence marquée pour la teinture à l'indigo à qui elle prête une vie propre puisqu'il faut "nourrir" la cuve d'indigo (au Japon avec du saké !) là aussi son expérience de la teinture lui permet d'obtenir des variations de couleurs qui viendront enrichir ses subtiles combinaisons de rayures dégradées pendant le tissage
Pour faciliter l’absorption des couleurs par les fils de soie, il est nécessaire de procéder au mordançage avec des minéraux principalement, ressources précieuses offertes aussi par la nature
Les mordants peuvent être des minéraux comme le fer, le cuivre, la chaux ou végétaux, certains sucs tirés de plantes ainsi que des cendres de bois, chaque mordançage active le processus de coloration et donne des teintes qui, en raison des aléas propres au milieu naturel, ne peuvent être semblables à chaque fois

Le mordançage n'est pas nécessaire avec l'indigo ce qui en fait une exception dans le monde des teintures
"Dans mon processus de création, c'est à travers la couleur que s'expriment [...] ma pensée ou le dessin que je crée" - Shimura Fukumi

Kasane irome - Superpositions de couleurs
Byobu, paravent recouvert de feuilles dorées de Washi , orné de chutes de soies
Superpositions de soies de Juban, kimonos de dessous, en de subtils dégradés de teintes
"J'ignore s'il existe quelque part un lieu où les couleurs peuvent être simplement couleurs sans le support du tissage ou autre..."
Cette réflexion de Mme Shimura fait écho à celle de Goethe, auteur d'un célèbre traité sur les couleurs, qui posait cette question : " Est-ce qu'une rose rouge cesse d'être rouge quand on ne la regarde pas ? "
La suite de l'article sera consacré aux splendides kimonos tissés par Shimura Fukumi et sa fille Yôko
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Paris – Exposition : Tisser les couleurs – Maison de la Culture du Japon :
1ère partie - La couleur
2ème partie - Les kimonos Tsumugi
3ème partie et fin !